L’artiste
YAN’ DARGENT, ARTISTE SINGULIER ET ATTACHANT
Yan’ Dargent est un peintre breton singulier. Il est né en Bretagne, alors que la peinture d’inspiration bretonne est surtout le fait de peintres venus d’ailleurs pour découvrir la région. Il s’est fait le chantre des paysages de son Léon natal notamment, mais aussi de la presqu’île de Crozon. Il a peint les légendes de son enfance, décoré de nombreuses églises et fut un illustrateur renommé. Créateur prolifique, il a également conçu des vitraux et des objets décoratifs.
Peintre autodidacte né le 15 octobre 1824 à Saint-Servais (29), Yan’ Dargent s’est surtout illustré dans la représentation des légendes de sa Bretagne natale. En 1859, l’État lui achetait le grand tableau Saint-Houardon exposé au Salon et le faisait déposer l’année suivante dans l’église éponyme de Landerneau. L’exposition au Salon de Paris en 1861 de la toile Les Lavandières de la nuit, admirée de Théophile Gautier, lui apporta la renommée. Il fut aussi le témoin de son époque en nous livrant des paysages et des portraits issus de son environnement quotidien. Ses peintures murales et ses toiles ornant de nombreux édifices religieux de la région lui apportèrent une renommée bien établie de son vivant. Enfin il fut également un illustrateur particulièrement prolifique : il apporta sa contribution à environ deux cents ouvrages et diverses revues dont une remarquable édition de La Divine Comédie de Dante (1879), ou encore de La Vie des saints de Mgr Paul Guérin (1884).
Avec le musée qui lui est consacré et l’enclos paroissial attenant, le village de Saint-Servais représente aujourd’hui un témoignage unique sur l’incroyable diversité et richesse de l’œuvre de Yan’ Dargent.
« Parmi les milliers de peintres qui ont parcouru en tous sens la Bretagne durant la seconde moitié du XIXe siècle, Yan’ Dargent occupe une place particulière, non seulement par son origine léonarde, mais surtout par l’intérêt et l’originalité de ses sources d’inspiration. Il n’aura de cesse durant toute sa carrière de témoigner de son attachement au pays de son enfance par ses évocations légendaires ou historiques et par ses paysages.
A proximité du musée qui lui est dédié, l’enclos paroissial de Saint-Servais est un incomparable et exceptionnel ensemble qui permet d’apprécier les thèmes de ses peintures d’inspiration religieuse.
Yan’ Dargent, figure éminente de la peinture bretonne, mérite la plus grande attention des Bretonnes et des Bretons. »
André Cariou – Conservateur en chef du patrimoine et ancien directeur du musée des Beaux-Arts de Quimper,
historien de l’art, auteur de très nombreux ouvrages sur la peinture bretonne.
« Quand le réalisme s’impose avec Millet et Courbet, « Un miracle de saint Houardon », « La mort du dernier barde » et « Les lavandières de la nuit » révèlent à Paris la profonde originalité de Yan’ Dargent. »
Denise Delouche, historienne de l’art, professeure d’université, auteure d’une thèse de doctorat sur les peintres de la Bretagne avant Paul Gauguin, auteure de très nombreux ouvrages sur l’histoire de la peinture et des peintres en Bretagne.
De Jean-Edouard Dargent à Yan’ Dargent
Le 15 octobre 1824 naît Jean-Edouard Dargent à Saint-Servais en Léon. Rien ne le prédestine à devenir l’artiste Yan’ Dargent. Son père, Claude Dargent, est lorrain et corroyeur de profession. Au relais de poste de Ti-Robée, du nom du propriétaire Pierre Robée, il fait la connaissance de la fille de l’aubergiste, Clémentine, et l’épouse. Jean-Edouard n’a pas deux ans lorsqu’il perd sa mère. Son père fonde un nouveau foyer à Landerneau. Jean-Edouard est élevé par ses grands-parents qui l’appellent certainement Yann. Il s’instruit auprès de son oncle instituteur à Plouaret, puis au Collège de Léon à Saint-Pol-de-Léon. Il trouve à s’employer dans une entreprise de travaux publics à Brest. Vers 1844, il réside à Troyes où il est employé à la construction d’une ligne de chemin de fer. Il fait alors une rencontre décisive : il se lie d’amitié avec le peintre paysagiste Jules Schitz, professeur et directeur de l’école de dessin de la ville. Dès lors, il cherche à vivre de son crayon et de son pinceau.
Le peintre du légendaire breton
A partir de 1850, il expose régulièrement au Salon à Paris. Une institution où les œuvres exposées sont rigoureusement sélectionnées. Il y est enfin remarqué en 1859 avec le tableau Saint Houardon, acheté par l’Empereur Napoleon III et bientôt déposé dans l’église du même nom à Landerneau. Puis en 1861, ce sont les Lavandières de la nuit qui sont appréciées, notamment par Théophile Gautier : l’année suivante ce tableau est exposé à Londres et vendu en Ecosse. C’est aujourd’hui le tableau le plus connu de l’artiste, notamment pour ses arbres aux formes anthropomorphes et zoomorphes. Ces dernières années, il a par exemple été exposé à Paris (aux Galeries nationales du Grand Palais en 2006-2007, « Il était une fois Walt Disney, aux sources de l’art des studios Disney »), à Lille (au Palais des beaux-arts en 2022, « La forêt magique »), à Landerneau (au Fonds Hélène et Edouard Leclerc en 2023, « Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval, peintures et dessins de John Howe »)…
Un illustrateur reconnu
Ce n’est pas de la peinture mais de l’illustration que Yan’ Dargent gagne sa vie d’artiste avant tout. C’est un des plus réputés illustrateurs de la seconde moitié du XIXe siècle. A partir de 1856 son nom apparait régulièrement dans les journaux illustrés : Le Magasin catholique illustré, La Vie à la campagne, Le Magasin pittoresque, La Chasse illustrée, le Tour du monde, la Bibliothèque des merveilles, le Musée des familles… Puis à partir de 1863, il illustre de nombreux livres, de tous genres : contes, vulgarisation scientifique, religion, histoire… Il signe seul l’illustration d’une cinquantaine de livres, soit plus de cinq mille dessins, et il participe à l’illustration de cent cinquante autres ouvrages. Une production considérable et recherchée. Il illustre les contes de Grimm, Andersen, Perrault, Laboulaye ou Assolant, où il se plait à dessiner enfants et arbres. L’histoire a retenu le nom de l’illustrateur Gustave Doré qui s’est confronté aux plus grands textes : Rabelais, Don Quichotte, la Bible… Doré triomphe notamment avec la parution de L’Enfer de Dante en 1861 mais attend 1868 pour faire publier les deux autres parties de La Divine Comédie de Dante, Le Purgatoire et Le Paradis. Dargent n’a sans doute pas eu l’ambition de Doré, ou ses éditeurs ne l’ont pas eu pour lui. Cependant, il se mesure à son rival avec sa Divine Comédie publiée par les frères Garnier en 1879 en français, puis en 1888 en espagnol et en 1908 en brésilien. Son illustration de La Vie des Saints de Mgr Paul Guérin, en 1884, est aussi particulièrement remarquable.
Peintre du sacré
En 1865, Yan’ Dargent achète une résidence à Créac’h André à Saint-Pol-de-Léon. Il y séjourne de plus en plus souvent avec son épouse, Eugénie Mathieu, musicienne. En 1869, il entreprend de décorer l’ossuaire de Saint-Servais : peintures murales, cartons des vitraux. Ce sera sa carte de visite pour un programme décoratif plus ambitieux : les peintures murales de la cathédrale de Quimper, réalisées de 1871 à 1883. Outre l’église et l’ossuaire de Saint-Servais ainsi que la cathédrale Saint-Corentin à Quimper, il décore de nombreux autres édifices religieux de peintures murales, huiles sur toile ou cartons pour des vitraux exécutés par plusieurs vitraillistes. La Procession des saints de l’église Saint-Houardon à Landerneau, de style néoclassique, montre une grande ambition. C’est assurément dans la représentation des figures de la foi en Bretagne que Yan’ Dargent est le plus original : parmi les peintures murales de Quimper, admirons le Père Maunoir recevant le don de la langue bretonne, Le Vénérable Dom Michel Le Nobletz prêchant à une foule en Bretagne, Conversation extatique de saint Corentin et de saint Primel. A Saint-Servais, La Mort de Salaün ar Foll est aussi remarquable.
Paysagiste en Bretagne
Son beau-père puis son épouse décèdent tous deux en 1885. Dès lors, il se rend bien plus rarement à Paris. Il dessine sur le motif à Brézal en Saint-Servais, sur la côte léonarde ou en presqu’île de Crozon, et reprend ensuite ses études en atelier. Les thèmes et les motifs sont récurrents : jeux d’enfants sur les falaises, arbres, retours des champs, ciels d’orage. Ses paysages témoignent d’un attachement profond à la Bretagne.
Une originalité redécouverte
A sa mort, il est enterré à Saint-Servais. Puis il tombe dans l’oubli. Des peintures religieuses sont détruites ou remisées. La lente redécouverte de Yan’ Dargent vient avec la thèse de Denise Delouche consacrée aux Peintres de la Bretagne avant Gauguin, en 1975, une exposition de livres illustrés présentée par Jean Berthou à la Bibliothèque municipale de Brest en 1976, une exposition rétrospective à landerneau en 1989, l’ouverture du musée Yan’ Dargent à Saint-Servais en 1991 à l’initiative de Jean Berthou et de la municipalité, une exposition au Musée des Beaux-Arts de Quimper en 1999. Aujourd’hui, celui qui a tant célébré les légendes et les paysages de sa terre natale se voit enfin aimé en retour par les Bretons.
expo YD illustrateur de livres BM Brest 1976 © Musee Yan’ Dargent St Servais Photo Albert Pennec